Risques naturels et centrales nucléaires : avertissement des géologues

Risques naturels et centrales nucléaires : avertissement des géologues

Peut-on croire que l’intrusion récente de militants de Greenpeace dans des zones non risquées d’une centrale nucléaire française soit ce qui peut arriver de pire en matière d’incident ? Non, évidemment, et sur cette échelle, les risques naturels ont une belle place. De leur côté, les sciences et techniques avancent à pas de géants dans le domaine de la prévention : on instrumentalise, on mesure, on modélise et on obtient même des résultats probants, porteurs de sens. Mais au bout du compte, tout ça pour quoi ? Comme les enfants qui mettent les doigts dans le pot de confiture, les décideurs n’écoutent que rarement ce qu’on leur dit. La différence avec les bêtises d’enfants, c’est que les sanctions sont lourdes — et collectives. Armero, Fukushima : on ne pouvait pas dire qu’on ne savait pas. Les géologues savaient et cela n’a servi à rien.

Sidération. C’est le mot qui décrit le plus ce qu’a ressenti la communauté des volcanologues après la catastrophe d’Armero. C’était la nuit du 13 au 14 novembre 1985, à 23 h 30, le Nevado del Ruiz entrait en éruption. Les autorités avaient été prévenues, il n’y avait pas de doute du côté des scientifiques : il fallait évacuer. Pourtant, les politiques refusent d’évacuer la ville. Ils sont nerveux, la situation en Colombie est très instable, ils ont d’autres préoccupations, plus sérieuses que le volcan. Il leur faut du temps. Braves gens, allez dormir en paix. Prière de ne pas déranger. 25 000 morts.

Et voilà, vingt-six ans plus tard, le 11 mars 2011, la même sidération teintée de révolte après la catastrophe nucléaire de Fukushima (consécutive au séisme de magnitude 9 désormais baptisé séisme de Tohoku). La responsabilité de Tepco a été reconnue dans la gestion de l’accident, c’est une chose, mais ça n’est pas la plus sidérante : en amont, il y a quelque chose de bien plus choquant et incompréhensible. En amont donc se trouve l’incroyable décision d’implanter une centrale nucléaire — parmi les 25 plus importantes au monde — dans une zone géodynamique parmi celles présentant le plus de risques combinés de la planète.

À la question « Scientifiquement, pouvait-on prévoir un séisme d’une telle ampleur au nord-est d’Honshu ? », la réponse est « Évidemment oui ! ». Et à la question « Le risque sismique a-t-il été sous-estimé en décidant d’implanter une centrale nucléaire à Fukushima Daichi ? », la réponse est encore oui.

Une configuration tectonique exceptionnelle, un séisme géant prévisible

Au niveau du Japon, quatre plaques tectoniques se confrontent : les plaques eurasienne, philippine, pacifique et nord-américaine (se référer à l’animation ci-dessus). Au large de Fukushima–Daichi et de sa voisine Fukushima–Daini, la plaque pacifique plonge sous la plaque eurasienne avec les vitesses de subduction les plus élevées du globe (9 à 10 cm par an). Ce n’est pourtant pas l’endroit le plus critique du Japon. En effet, là où la ville même de Tokyo est implantée, se trouve ce qu’on appelle un point triple, lieu de convergence de trois plaques : la plaque philippine se trouve prise en sandwich entre la plaque eurasienne (sous laquelle elle s’enfonce) et la plaque pacifique (qui s’enfonce sous elle). C’est un mille-feuille à trois étages et Tokyo est un étau. L’occurrence d’un « big one » à Tokyo ou à proximité fait peu de doute. Le séisme du 11 mars était beaucoup plus au nord, dans une région plus simple avec une subduction unique. En d’autres termes, oui, le pire reste à craindre.

Si la pire des zones est à Tokyo, peut-être pouvait-on exclure un séisme d’une telle force au large de Sendai et Fukushima ? Un séisme de magnitude 9 était-il complètement inconcevable au nord-est d’Honshu ? Il est triste de répondre « non, un séisme de grande ampleur était tout à fait prévisible dans cette zone ».

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Dans la longue histoire, on a pu avoir mention de quatre séismes ayant été suivis par un fort tsunami : ceux de 869, 1611, 1896 et 1933. Pour les deux derniers, la magnitude fut aux alentours de 8,5 et on sait que la vague qui a suivi a pu atteindre 20 à 30 mètres de haut. Pour couronner le tout, la géophysique moderne avait apporté sa pierre à l’édifice. Grâce à l’implantation d’un réseau GPS dans le courant des années 90, on savait que la plaque pacifique avait quasiment arrêté sa progression, signe que les contraintes étaient en train d’augmenter de façon importante. L’éventualité d’un big one dans cette zone devenait tangible au fil des mois.

Il faut bien garder à l’esprit que dans le cas du Japon et sur toute la ceinture de feu du Pacifique, le risque sismique ne va pas seul (contrairement au cas de la France ou de la Turquie, par exemple), il est associé au risque potentiel de tsunami. Le tsunami est un raz de marée consécutif à une colossale quantité d’eau déplacée brutalement, lors d’un tremblement de terre en zone océanique par exemple. L’association du risque sismique au risque de tsunami rend ce secteur géographique particulièrement dangereux du point de vue des risques naturels.

le réacteur 4 de Fukushima

Centrales nucléaires : l’irresponsabilité des hommes

Un séisme majeur était donc prévisible. Était-on préparé à l’affronter ? Non. Ignorer le danger comme pour l’exorciser semble avoir été la très déraisonnable décision prise à Fukushima. La centrale de Fukushima–Daichi a été dimensionnée pour résister à une magnitude 8 et une vague de 5,7 mètres de haut. Bien trop peu.
Le séisme, de magnitude 9 (30 fois plus intense que la magnitude 8 envisagée en termes d’énergie libérée) a engendré l’arrêt automatique des réacteurs 1, 2 et 3 et la destruction des 6 lignes d’alimentation électriques externes. Les 12 groupes électrogènes de la centrale prennent alors le relai.

L’incident paraît maîtrisé. Toutefois, une étude internationale tend à prouver qu’une perte de confinement avec fuite de xénon a eu lieu après le seul séisme (provenant vraisemblablement de la piscine du réacteur n°4, alors à l’arrêt). Cinquante-et-une minutes plus tard, arrive le tsunami, avec une vague de 14 mètres, alors que les autorités n’avaient prévu qu’une vague de 5,7 mètres : le site est inondé, tous les systèmes de refroidissement anéantis. Les cœurs de réacteur fondent. Les isotopes radioactifs peuvent se répandre librement dans l’environnement. Les responsables de Tepco eux-mêmes avoueront avoir péché par négligence et sous-estimé le risque de tsunami. Mais comment peut-on avoir été si léger et si négligent ? Tout le prouve : placer cette centrale, dans ce contexte géodynamique, était une hérésie.

Y avait-il d’autres solutions ?

Y avait-il des endroits plus sûrs pour implanter une centrale au Japon ? pourrait-on demander. Tout est affaire de nuance. Plus sûrs, non. Moins risqués, oui. Une centrale nucléaire a besoin de grosses quantités d’eau pour lui assurer un besoin vital : le refroidissement. Ainsi, la place-t-on sur le cours d’une rivière, d’un fleuve ou le long d’un littoral. Au Japon, les fleuves sont courts, connaissent de forts dénivelés et sont peu propices à l’implantation des centrales nucléaires. Reste le littoral. On a vu que la côte orientale est une zone à fort risque sismique avec risque de tsunami associé. Qu’en est-il de la côte ouest ?

Il convient de distinguer le nord et le sud. Au nord-ouest se trouve également une zone de subduction entre les plaques nord-américaine et eurasienne. La fréquence et l’intensité des séismes y sont moindres que sur la côte est, mais un risque de séisme avec tsunami associé n’est pas exclu. Seule la côte sud-ouest est dépourvue de toute limite de plaque et donc plus « tranquille ». Cela ne veut pas dire que le risque de tsunami y est inexistant non plus, puisqu’un séisme avec un foyer au nord peut engendrer une vague allant jusque sur la côte sud. Au Japon, on trouve des centrales sur tout le littoral, sur la côte est comme sur la côte ouest, mais celles de la côte ouest et en particulier sud-ouest sont tout de même moins exposées.

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Pour terminer avec le Japon, concluons par une séance de remise de prix de la négligence du risque. Attribuons le premier prix de l’hérésie géologique à la centrale de Hamaoka, située à 130 kilomètres de la zone de point triple et donc de Tokyo et à 90 km du mont Fuji. Zone à haut risque pour y nicher des isotopes radioactifs… évidemment ! Le second prix revient donc naturellement à Fukushima et ses voisines Tokai et Onagawa.

Un prix spécial sera décerné à Kashiwazaki–Kariwa, la centrale la plus puissante du monde (8 212 mégawatts) au nord-ouest. La plus grosse centrale nucléaire du monde est au Japon et le Japon, lui, nous l’avons vu, est loin d’être un endroit géologiquement fréquentable pour une centrale nucléaire.

On l’aura compris, la logique d’implantation des centrales ne suit pas la logique géologique : pour que l’électricité ait un coût raisonnable, il faut qu’elle soit proche du consommateur. Pourtant, après Fukushima, on ne peut pas dire que le bilan comptable soit à la faveur des décisions prises a contrario du bon sens géodynamique. Le coût estimé de la catastrophe évolue sans cesse, mais l’ordre de grandeur est de plusieurs centaines de milliards d’euros.

Et ailleurs dans le monde ?

L’histoire des accidents pourrait-elle être entendue et prise en compte pour en éviter d’autres dans d’autres zones géographiques ? Malheureusement, le Japon n’est pas le seul endroit du monde où se sont jouées les amours sulfureuses de la géologie et du nucléaire.

Par exemple, tout le pourtour du Pacifique est une zone à fort risque sismique avec souvent un risque de tsunami associé. À proximité de l’archipel nippon, toute la côte d’Asie du sud-est située en bordure du Pacifique est particulièrement exposée aux risques géologiques précités. Sans être exhaustif, on peut mentionner des cas emblématiques comme la centrale de Bataan, aux Philippines, dont la construction fut décidée par Ferdinand Marcos mais qui ne produit jamais rien d’autre qu’une dette colossale, puisqu’elle n’a jamais été allumée… D’autres pays, moins sages, ont des centrales en service, comme à Taïwan où les problèmes de sécurité sont fréquents. Il y a également une centrale en activité à Hong Kong et un projet pour le Vietnam.

De l’autre côté du Pacifique, deux cas sont à considérer : le Canada et les États-Unis. Le premier est un bon élève et garde ses centrales loin de Vancouver et de Vancouver Island où les géophysiciens prévoient un big one dans un avenir proche à l’échelle des temps géologiques.

Les Américains, de leur côté, sont beaucoup plus joueurs et ont implanté des centrales le long de la faille de San Andreas, aux portes de Los Angeles et San Francisco avec, du sud au nord, San Onofre, Diablo Canyon, Vallecitos. Diablo Canyon, à proximité de San Francisco, présente des risques majeurs, sa situation étant semblable à celle de Fukushima avant mars 2011.

Pour terminer par un point de vue nombriliste, il est évident que le risque sismique en France est significativement moindre. Il est simplement très étrange qu’on ait implanté Fessenheim sur le graben du Rhin, où le risque sismique semble avoir été sous-évalué, et le site emblématique de Cadarache sur la faille la plus active de notre pays (dans les temps historiques), dite de la Moyenne Durance. Allez comprendre…

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Des centrales à l’arrêt, est-ce suffisant ?

Parmi toutes les centrales précitées, il faut bien le reconnaître, bon nombre sont désormais à l’arrêt. Le Japon a coupé net ses ambitions nucléaires. La construction de trois réacteurs, actuellement en chantier, se poursuit mais sans certitude quant à leur mise en service. Les 50 réacteurs du pays ont été mis à l’arrêt en 2011 puis deux d’entre eux remis en service en 2012 (centrale d’Ohi à l’ouest) pour pallier les risques de pénuries énergétiques.
De même, aux États-Unis, les centrales de San Onofre et Vallecitos ne sont plus en service. Seul Diablo Canyon continue son petit bonhomme de chemin, autorisée à alimenter 2,2 millions de Californiens jusqu’en 2024-2025. La résistance à un séisme de magnitude élevée est l’objet d’études et de discussions récurrentes.

Au bout du compte, reste une question cruciale : un arrêt simple d’une centrale garantit-il sa parfaite sécurité ? La réponse est non et si l’arrêt d’une centrale satisfait ses proches riverains, il faut savoir qu’en aucun cas, elle n’est la garantie d’une sécurité absolue. Même à l’arrêt, la radioactivité est là et le problème numéro un reste le refroidissement, donc le besoin en eau.

Il est moindre lorsque la centrale est à l’arrêt, mais il est réel. EDF l’évoque d’ailleurs clairement dans un de ses rapports : « Lorsque le réacteur nucléaire est à l’arrêt, le circuit secondaire, qui n’entraîne plus la turbine, n’a plus besoin d’être refroidi. Mais le combustible situé dans la cuve du réacteur continue cependant de dégager de la chaleur appelée « chaleur résiduelle ». Le réacteur doit donc toujours être refroidi. »

Pour le coup, en cas de catastrophe majeure, une perte totale des systèmes de refroidissement entraînant une surchauffe des réacteurs n’est pas à exclure, même en cas d’arrêt : le réacteur 4 de Fukushima, alors à l’arrêt pour maintenance, en est un parfait exemple.

Le risque nucléaire, compris au prisme de la géologie, n’est d’ailleurs jamais nul. L’accident majeur (fusion d’un cœur de réacteur avec perte de confinement, c’est-à-dire des fuites importantes d’éléments radioactifs) n’est pas quelque chose qu’on exclut mais quelque chose que l’on restreint en termes statistiques. En France et pour les réacteurs de première génération, ce risque est de 5 sur 100 000 par réacteur et par an et de 1 pour 100 000 pour ceux de seconde génération.

La question n’était donc pas ici de savoir si le nucléaire est un choix judicieux ou non : il s’agissait de montrer que le rendement et la facilité de diffusion de l’énergie priment dans bien des cas sur le danger réel des zones où sont installées les centrales. Le nucléaire est là et quoi qu’on fasse, la sécurité absolue est désormais une chimère. Rien n’arrête les processus de désintégrations radioactives quand on les a initiés, sauf le déroulement des années, bien au-delà de nos vies.

Pourtant, le nucléaire n’est pas quelque chose qui se prend à la légère, ce n’est pas une énergie banale : implanter des centrales dans des zones géodynamiques à hauts risques (Japon, Asie du sud-ouest, côte ouest des États-Unis) est une prise de risque démesurée. Fukushima en fut la preuve ; espérons qu’elle serve d’exemple.​

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