En résumé :
Comment la vente de Megaman X a atteint 4800€ ?
Après une exposition muséographique au Grand Palais, des livres consacrés à l’histoire du jeu vidéo et l’éternel succès de l’occasion, le retrogaming ne cesse d’accroître son marché et de toucher de plus en plus de passionnés, si bien qu’au mois de décembre, c’était une vente aux enchères des plus solennelles qui lui était consacrée. Cependant, et depuis quelques années maintenant, ce franc succès a parfois tendance à se montrer sous ses jours les plus sombres, alimentant un certain nombre de dérives notamment au niveau des prix de vente exorbitants des jeux estampillés retro. Au point, donc, de voir fleurir des Megaman coûtant 4 800 €.
Atteints de collectionnite aiguë, certains passionnés n’hésitent pas à payer leurs jeux au prix fort, pour le plus grand bonheur des revendeurs. La meilleure façon de prendre la température, et savoir où en est vraiment le business du retrogaming, c’est encore d’aller sur le terrain, épaulé par un connaisseur : Damien Duvot – également connu sous le pseudonyme de Mr Meeea –, journaliste, collectionneur, habitué des brocantes et fin érudit du marché retrogaming.
Nous arpentons le boulevard Voltaire, dans le XIe arrondissement de Paris, qui constitue probablement l’un des rares quartiers où l’on trouve encore plusieurs boutiques de jeux vidéo, visiblement réputées pour leurs prix élevés. « Plus on va avancer dans la rue, plus les prix vont grimper. La plupart des magasins ici doivent sans doute s’accorder sur les prix de vente, genre : « Toi tu fais moins cher de la Mega Drive et toi tu fais plus cher autre chose. » En fait ils doivent s’arranger entre eux », explique Damien pendant qu’on se dirige vers la première boutique.
Nous entrons et effectuons une petite visite sommaire des lieux avant d’aller fouiner du côté du retrogaming. Même en connaissant légèrement les pratiques dans le milieu, nous ne pouvons nous empêcher de rester bouche bée devant le prix d’un Secret of Mana en loose (c’est-à-dire avec la cartouche seule, sans boîte, ni notice) : 60 €. Un jeu que la plupart des fans de retro ont chez eux et qu’ils ont dû acheter trois fois moins cher il n’y a pas si longtemps que ça. Damien, lui, ne s’étonne même plus de ce genre d’estimation : « Regarde, Zelda : A Link to the Past à 40 €. C’est idiot, ce sont des jeux qui se sont survendus. »
Plus c’est vieux, plus c’est cher ?
À côté de nous, une dame demande conseil à l’un des vendeurs pour un jeu Game Boy et s’étonne de son prix. « 40 € ? C’est cher ! » Réponse du vendeur : « Plus c’est vieux, plus c’est cher, ça a pris de la valeur avec le temps. » Explication apparemment légitime, puisque la cliente prendra tout de même le jeu, sans même penser à y apporter une quelconque réticence. Après tout c’est le prix, pense-t-on. Nous continuons notre tour du propriétaire, avant de finalement sortir rejoindre la seconde boutique du quartier.
« Eux encore ils ont des prix assez corrects. Quand ils ont ouvert il y a quelques mois, c’était vraiment le magasin le moins cher du quartier. Puis ils ont dû s’aligner sur les autres boutiques j’imagine », raconte Damien sur le chemin. Très vite, il déchante : « Alors par exemple dans les trucs débiles il y a ça : Zelda : The Wind Waker à 70€ alors qu’il y en a trois exemplaires en vente. » Après quelques remarques du même acabit sur différents jeux, nous nous dirigeons vers les vendeurs. Damien a en effet avec lui deux cartouches qu’il aimerait revendre, ou en tout cas échanger avec une autre en magasin. Il en profite donc pour se renseigner sur le prix de reprise de ses jeux : The Adventures of Batman & Robin et Rocket Knight Adventures sur Mega Drive. Le vendeur lui propose « entre 20 et 25 € les deux », après avoir vérifié les prix sur Priceminister et eBay.
Une pratique qui a ses limites, comme l’explique Damien un peu plus tard : « Imagine, tu tombes dans ton grenier sur un jeu que personne ne vend car personne n’en a rien à faire. Par exemple Bubba ‘n’ Stix sur Mega Drive, il est introuvable sur Internet pourtant il n’est pas terrible et n’est pas vendu très cher, c’est maximum 20 €. Bref, avant de le vendre tu cherches le jeu sur le net et tu ne le trouves pas, du coup tu vas te dire : « Il doit être rare, donc cher », par conséquent tu vas mettre son prix à 60 €, par exemple. Il ne va pas partir, mais à ce moment-là, tu as une autre personne qui veut vendre Bubba ‘n’ Stix et qui tombe sur le tien à 60 €, il va le mettre dans cette même tranche de prix mais légèrement moins cher. C’est comme ça que ça marche. » Des estimations parfois (souvent) hasardeuses donc, qui ne revoient que rarement leurs prix à la baisse.
Une boîte sans jeu à… 45 €
Après l’estimation de ses jeux, Damien part à la recherche d’une quelconque cartouche avec laquelle il pourrait échanger les siennes. Il remarque dans la vitrine une version Super Nintendo de Sparkster. Son coût ? 45 €. Bien sûr, impossible de négocier, c’est quelque chose qui ne se fait pas ou très rarement.
Finalement, nous laisserons tomber pour cette fois et nous dirigeons vers un troisième magasin pour proposer les deux jeux Mega Drive. Ici, le vendeur propose de reprendre les jeux de Damien pour 30 €. En l’espace de quelques mètres, on gagne 5 € sur la reprise, les estimations sont donc bien souvent loin d’être régulières d’un endroit à un autre. Nous montons à l’étage retrogaming pour voir quels jeux nous pourrions obtenir avec ces fameux 30 €. Tout de suite, on remarque une chose assez farfelue : une boîte de The Legend of Zelda : Majora’s Mask à 45 €. Pas le jeu, juste la boîte.
À l’inverse, il existe parfois des jeux mésestimés : Damien pointe quelques instans plus tard un Rolo to the Rescue en boîte sur Mega Drive : « Il est à 19 € alors que c’est un jeu relativement rare. » Comme quoi, ce n’est pas l’âge d’un jeu ni sa rareté qui fait sa valeur, comme tentait de l’expliquer ce revendeur rencontré plus haut, mais bien sa renommée, et les demandes qu’il peut engendrer. « C’est pas en fonction de la vieillesse, c’est pour légitimer le prix qu’ils disent ça. Par exemple, quand le dernier Kid Icarus est sorti, tous les anciens Kid Icarus avaient beaucoup monté, parce qu’ils savent que des gens vont commencer à demander des Kid Icarus. 160€ le jeu, alors qu’avant la sortie du dernier les jeux étaient à 40 € en boîte ou quelque chose comme ça. Moi j’ai eu le mien à 50 €. Ce sera aussi en fonction des licences : si c’est un Castlevania ou un Megaman ça va partir très cher. »
Ni la rareté, ni la vieillesse : c’est du business
Il insiste : « Non ce n’est pas en fonction de la rareté, il y a des jeux qui sont ultra rares comme Rings of Power sur Mega Drive, et il est vendu à 10 €, alors que c’est le premier jeu de Naughty Dog et qu’historiquement il est très intéressant. On voit des jeux Atari à 7 € alors que ça date de 1981, c’est plus vieux qu’un Final Fantasy VII qui vaut 5 fois plus cher. Donc ce n’est ni la rareté ni la vieillesse d’un jeu : c’est la demande en fonction de ce que les gens vont acheter pour pouvoir les revendre derrière. C’est juste du business. » Autre facteur d’augmentation des prix des jeux, la publicité qui leur est faite par le biais de vidéos sur Youtube : « Des fois il y a le Joueur du Grenier qui fait grimper le prix des jeux. Par exemple le jeu Virus sur PlayStation, il n’était pas très cher avant, mais quand il a fait sa vidéo dessus, il a grimpé. »
Plus loin, on remarque un jeu Nintendo 64 sous blister et sans prix. Damien souligne le fait qu’il s’agit très probablement d’un faux blister : « La technique pour voir les faux blisters, c’est de regarder si le jeu flotte dans le plastique ou non. Les plastiques originaux étaient thermoformés par rapport à la taille des boîtes, ce qui fait que normalement le jeu est quasiment collé au plastique. Si ce n’est pas le cas, c’est que c’est un faux. Il y a eu une profusion de faux blisters sur le net il y a quelque temps. » Finalement, Damien jette son dévolu sur Skyblazer sur Super Nintendo et l’échange avec ses deux jeux Mega Drive.
Nous sortons de la boutique pour nous diriger vers sa voisine, qui seraient toutes les deux tenues par la même personne : « Du coup ils se lâchent un peu au niveau des prix dans celle-ci. » Et en effet, après être descendus, nous tombons nez-à-nez avec une 3DS édition limitée The legend of Zelda : Ocarina of time 3D – 25e Anniversaire à 420 €, alors que cette édition se vendait encore sur le net sur des sites comme Fun Academy à un prix correct, environ 150 ou 200 €, par des particuliers.
Et ce sera comme ça pour toutes les licences avec une certaine renommée, les éditions limitées, les jeux qui connaissent un regain de mode éphémère… La folie du marché retrogaming atteint des sommets, si bien qu’on en est à le comparer avec le marché de l’art, avec ses envolées de prix faites au prisme d’estimations aux barrières floues, pour ne pas dire totalement hasardeuses à quelques occurrences. C’est bien par pudeur que nous nous sommes gardés d’évoquer ces jeux en boîte qui atteignaient, en magasins, facilement les 300 ou les 700 €. Celui qui côtoie le monde du retro deviendra vite habitué, voire blasé de rencontrer autant de sommes faramineuses, paradoxalement censées souligner la singularité d’un jeu. Un jeu qui, aussi excellent soit-il, ne méritera jamais qu’on le paye 4 800 €.
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